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Faut-il nudger ou booster les économies d'énergie ?

17.06.2022

Dr Mira Toumi

Encourager l’adoption de comportements d’économie d’énergie est un élément crucial dans la stratégie de lutte contre le changement climatique. Dans la poursuite de ce défi, plusieurs questions émergent : comment conscientiser la consommation d’énergie en la rendant plus visible ? Comment transformer les possibles intentions pro-environnementales des individus en actions concrètes ? Et quel(s) outil(s) comportemental(aux) faut-il mettre en place ?

Aller au-delà des outils traditionnels

Au cours des dernières décennies, les décideurs publics se sont largement appuyés sur des interventions dites traditionnelles — inspirées par les stratégies de tarification économique et la réglementation — qui considèrent les individus comme des êtres purement rationnels. Cependant, l’être humain n’est pas toujours cet être rationnel qu’on voudrait qu’il soit. Dans le cadre de la consommation d'énergie par exemple, plusieurs études ont montré que la perspective d'une réduction du montant de la facture d’énergie ne suffisait pas à inciter les gens à réduire leur consommation.

En 2011, Opower a en effet démontré que les stratégies de tarification ne sont pas la principale force pour modifier le comportement des consommateurs, mais que la comparaison sociale était un moyen plus efficace d'inciter à la réduction de la consommation d'énergie, et ce, même quand les consommateurs prétendent ne pas se soucier des normes sociales.

Les sciences comportementales nous apprennent qu’on peut changer la façon d’appréhender les questions de durabilité comme celle de la consommation d'énergie en tenant compte de l’existence de biais cognitifs dans la conception des interventions et des politiques. Cette idée est d’ailleurs très bien illustrée par les travaux de Thaler et Sunstein (2008) à propos du rôle des nudges dans l'élaboration des politiques publiques.

Plus récemment, le boost est apparu comme un nouvel outil. De quoi s’agit-il ? Contrairement aux nudges qui orientent les décisions en modifiant la présentation des choix, les boosts sont des interventions visant à développer les compétences et la motivation des individus à se comporter d'une certaine manière, en augmentant leurs connaissances. Cela passe par la présentation d’informations précises et une aide à la prise en compte de leurs propres biais cognitifs. Présentons plus en détails ces deux types d'interventions comportementales.

Nudges et Boosts : deux demis-frères ?

Comment envisager l'utilisation de ces deux outils dans le cadre des économies d'énergie ?

La première étape de toute intervention consiste à identifier le comportement cible. En matière d’énergie, les comportements peuvent généralement être catégorisés en trois types :

  • Les comportements d’économie d’énergie, qui comprennent les petits gestes répétitifs du quotidien tels que l’arrêt des appareils électroniques.
  • Les comportements de maintenance, qui impliquent de s'assurer que les appareils électroménagers soient en bon état.
  • Les comportements d'investissement, qui peuvent inclure à la fois des investissements à court terme, comme l'achat d'ampoules LED, et des investissements importants et à plus long terme, tels que la rénovation et la modernisation de la maison.

Pourquoi cette distinction est-elle importante ?
Parce que les décideurs politiques et les fournisseurs d'énergie doivent choisir quoi faire et quelle stratégie suivre en fonction du type de comportement qu'ils souhaitent encourager. Selon le comportement visé, le degré d'effort individuel sera différent, et l’outil comportemental envisagé devra être adapté.

La littérature en sciences comportementales nous apprend que pour des petits comportements d’économie d’énergie, le nudge représente un outil efficace. Par exemple, pour encourager les individus à éteindre la lumière en quittant une pièce, une action rapide et facile à réaliser, celle-ci ne nécessite pas de réflexion approfondie. Dès lors, un nudge sous la forme d'un ‘autocollant’ pourrait être une incitation suffisante pour encourager le bon comportement.

Mais le nudge n’est pas forcément l'intervention adéquate pour tous les comportements. Par exemple, dans le cas des comportements de maintenance qui nécessitent une réflexion plus approfondie et une forte motivation pour être modifiés, le nudge peut être inefficace. A ce sujet, une expérience de terrain menée dans le sud de l’Europe a montré que ‘booster’ les citoyens en augmentant leurs compétences et leurs connaissances à travers la fixation d’objectifs accompagnés de conseils ciblés, permettait d’encourager les individus à entreprendre des travaux d'entretien dans leur foyer en vue d’atteindre des objectifs spécifiques de réduction d'énergie (Lazaric, Toumi, 2022).

Que pouvons-nous apprendre de la littérature scientifique ?

Les boosts sont perçus comme différents des nudges par leurs sources d'inspiration et leur mise en œuvre. Alors que les nudges reposent sur la conception du ‘Système 1’ de Kahneman, qui fonctionne “automatiquement et rapidement”, les boosts s'inspirent de la notion ‘Rapide et Frugal’ telle que définie par Gigerenzer. Cette théorie considère que les individus sont dotés de différents types de compétences et peuvent choisir les raccourcis mentaux les plus appropriés pour atteindre leurs objectifs.

En résumé, le nudge montre aux individus la ‘bonne’ façon de se comporter dans un contexte particulier, alors que le boost leur donne les outils nécessaires pour se comporter d'une manière spécifique. Les boosts, bien que plus jeunes que les nudges, sont considérés comme un autre outil prometteur pour générer un changement de comportement à long terme.

Dans le contexte politico-environnemental actuel, où les gouvernements cherchent à encourager les comportements économes en énergie, il convient de veiller à concevoir des interventions qui ciblent efficacement ces différents types de comportements, qu'il s'agisse d'entretien ou d'investissement.

Sources:

  • Allcott, H. (2011). Social norms and energy conservation. Journal of public Economics, 95(9-10), 1082-1095
  • Bradt, J. (2019). Comparing the effects of behaviorally informed interventions on flood insurance demand: an experimental analysis of ‘boosts’ and ‘nudges’. Behavioural Public Policy, 1-31.
  • Charlier, C., Guerassimoff, G., Kirakozian, A., & Selosse, S. (2020). Under pressure! Nudging electricity consumption within firms. Feedback from a field experiment. The Energy Journal, 42(1).
  • Gigerenzer, G., Todd, P. M. et al. (1999). Simple Heuristics that make Us Smart, New York: Oxford University Press.
  • Grüne-Yanoff, T., Marchionni, C., & Feufel, M. A. (2018). Toward a framework for selecting behavioural policies: How to choose between boosts and nudges.
  • Economics & Philosophy, 34(2), 243-266.
  • Hertwig, R., & Grüne-Yanoff, T. (2017). Nudging and boosting: Steering or empowering good decisions. Perspectives on Psychological Science, 12(6), 973-986.
  • Kahneman, D. (2011). Thinking, fast and slow. London: Penguin Books.
  • Lazaric, N., & Toumi, M. (2022). Reducing consumption of electricity: A field experiment in Monaco with boosts and goal setting. Ecological Economics, 191, 107231.
  • Thaler, R. H., & Sunstein, C. R. (2008). Nudge: improving decisions about health. Wealth, and Happiness, Yale University Press.